Arabie saoudite, Turquie, Koweït : les alliés des États-Unis financent et soutiennent le groupe djihadiste de l'EIIL/ISIS !
Quand
est évoquée la question du financement, des soutiens des
djihadistes de l'EIIL/ISIS (Etat islamique de l’État et du
Levant), la réponse semble « complexe », « obscure »,
rétive aux explications « simples ». Or, même s'il
subsiste des zones d'ombres, des noms reviennent systématiquement :
ceux des alliés des USA.
Cela
fait des mois que l'ex-Premier
Ministre irakien Nouri al-Maliki accuse directement l'Arabie saoudite
et le Qatar du financement des fondamentalistes islamistes de l'EIIL.
Des dénonciations qui ont rencontré les démentis des autorités
saoudiennes, le mépris des puissances occidentales.
Il
faut pourtant prêter une oreille au « faucon » John
McCain, en février 2014, à la Conférence de sécurité de
Munich : « nous
remercions Dieu pour les Saoudiens, le prince Bandar et nos amis
qataris ».
En
mai 2013, John McCain s'était rendu en Syrie pour rencontrer ces
« combattants de la liberté », posant sur une photo où
on retrouvait, outre le Général Idris de l'Armée syrienne libre,
des guerriers des factions islamistes d' « Al Nosra »
tandis que l'EIIL revendique depuis cette photo comme preuve de sa
légitimité, plusieurs de ces combattants présents ayant depuis
rejoint le groupe.
La
politique états-unienne n'a pas été uniforme depuis le début de
la guerre civile en Syrie, des dissensions se sont faits jour sur les
modalités du soutien aux rebelles – direct ou indirect, tout
azimut ou ciblé, intervention armée ou coopération avec d'autres
puissances dans la région (Iran).
Une
chose est sûre, trois pays reviennent systématiquement quand on
évoque le soutien aux islamistes d'Irak et de Syrie – l'Arabie
saoudite, le Koweït et la Turquie – trois
alliés incontournables des États-Unis dans la région.
L'Arabie
saoudite, l'épicentre du djihadisme
Le
premier au banc des accusés est l'Arabie saoudite,
pointé par les gouvernements irakien, iranien et syrien mais aussi
par son « meilleur ami/ennemi », le Qatar.
Première
question, celle du financement.
Bien que les Saoudiens aient toujours dénié tout soutien financier
aux guérillas islamistes, on sait désormais que les
deux principaux bailleurs de fonds de la rebellion syrienne, en
rivalité par ailleurs, sont le Qatar et l'Arabie saoudite.
On
sait également que les dits « modérés » (mais qui est
modéré dans ce conflit ?) ont depuis longtemps perdu le
contrôle au profit des dits « extrémistes », les
groupes liés à Al-Qaeda en tête.
Dans
ce cadre, la rivalité entre Qataris et Saoudiens portaient sur
l'identité des groupes islamistes à soutenir, le Qatar auraient
favorisé plutôt le « Front al-Nosra » tandis que les
Saoudiens privilégiaient l' « EIIL » ou la nouvellement
formée « Armée de l'Islam » (JAI).
Or,
en février dernier, une rencontre à Washington entre les services
de renseignement alliés des Etats-unis – Jordanie, Turquie, Qatar,
Arabie saoudite – débouchait sur une affirmation de la
nécessité de cesser de financer, d'armer les groupes
« extrémistes » plutôt que les « modérés ».
Le
premier pays visé était l'Arabie saoudite dont
le chef des services de renseignement, le prince Bandar bin Sultan
venait, peut-être sur sollicitation américaine, d'être congédié.
Un aveu du bien-fondé des suspicions irako-irano-syriennes,
inavouables publiquement bien sûr.
De
quoi s'attarder sur la personnalité du prince Bandar bin Sultan, et
son rôle dans la préparation
militaire de
la rébellion. Belliciste et influent, résolu mais aussi
incontrôlable, le prince Bandar a fini par agacer les Etats-unis qui
ont demandé sa mise sur la touche.
Pourtant,
jusque-là, la
collaboration des services saoudiens avec la CIA avait fonctionné à
plein,
comme dans les camps d'entraînement des djihadistes en Jordanie.
Ou
encore dans la « rat line », un approvisionnement d'armes
libyennes jusqu'en Syrie via la frontière turque, avec des
financements saoudiens, et l'action d'agents de la CIA américaine et
du MI-6 britannique, une opération coordonnée par le directeur de
la CIA, David Petraeus.
La
« rat line » a été divulguée au moment de l'attentat
contre le consulat américain à Benghazi, en septembre 2012. Elle
était contenue dans une annexe classifiée secrète à un rapport du
Département d'Etat sur l'événement.
Toutefois,
les doubles objectifs de l’État saoudien, les plans secrets de
soutien aux islamistes radicaux du prince Bandar ont refroidi les
États-Unis.
L'influence
de ce dernier auprès des cercles dirigeants néo-conservateurs et
des groupes pétroliers est notable,
profitant de sa charge d'ambassadeur aux Etats-unis de 1983 à 2005
pour tisser son réseau, lui qui fut un ami personnel de Ronald
Reagan, George Bush (père et fils) ou encore Dick Cheney. Il fut
pendant longtemps la face publique du « lobby saoudien »
à Washington.
Pourtant,
le prince Bandar n'a jamais caché ses intentions. Ainsi, en juillet
dernier, le prince Bandar a parlé franc jeu avec le président russe
Poutine, après avoir menacé à demi-mot les JO de Sotchi
d'attentats terroristes :
« Ces
islamistes tchétchènes (...) sont comme ceux que nous contrôlons
en territoire syrien, ils ne bougent pas sans que nous nous
coordonnions.
Nous les utilisons contre le régime syrien, mais ils n'auront pas
d'influence dans l'avenir politique du pays ».
Sur
le terrain, les forces
militaires de
l'EIIL sont composés de combattants de toute nationalité, mais
avant tout saoudiens selon diverses estimations.
En
2007, les
Etats-unis avaient déjà estimé que 45 % des combattants étrangers
en Irak étaient saoudiens.
Selon un institut de recherche basé aux Emirats arabes unis,
l'INEGMA, 4 000 combattants saoudiens et 1 500 des Emirats seraient
présents dans les rangs de l'ISIS.
De
quoi éveiller quelques doutes chez les responsables américains, en
coulisses bien sûr. En 2009, Hillary Clinton avait signé un mémo
secret – révélé par Wikileaks – spécifiant que :
« l'Arabie
saoudite représente une base de soutien financier capitale pour
Al-Qaeda, les Talibans (…) les
donateurs d'Arabie saoudite constituent la source la plus importante
de financement des groupes terroristes sunnites dans le monde ».
Faut-il
rappeler que 15
des 19 responsables directs des attentats du 11 septembre 2001
étaient Saoudiens,
l'immense majorité des financements d'Al-Qaeda venait d'Arabie
saoudite, tout comme son idéologie « wahhabite » dont
s'est inspiré Ousama Ben Laden.
Aucun
« terroriste », pas un sou ne venaient alors d'Iran, de
Syrie ou d'Irak.
Le
Koweit, et les autres pays du Golfe : la plaque-tournante du
financement
Toutefois,
pour ce qui concernerait le financement, il faudrait voir d'abord du
côté des riches fortunes des pays du Golfe : Qatar, Émirats
arabes unis et surtout Koweït.
Présenter ce
financement comme « indirect » peut prêter à sourire
quand on sait l'imbrication intégrale et même l'identité entre
grandes fortunes et familles princières dans les Emirats.
Selon
un rapport du think tank libéral Brookings
Institution –
financé partiellement par le Qatar – le
Koweit est désormais devenu « une
plaque-tournante du financement de la myriade de groupes rebelles en
Syrie »,
chiffrant le montant des aides à plusieurs centaines de millions de
$.
Utilisant
la législation extrêmement laxiste du Koweit, une dizaine d'hommes
de l'affaire de l'émirat auraient fait transiter des millions de $
via la Turquie ou la Jordanie pour financer la rebellion tandis que
des membres de la minorité chiite au Koweit soutiendraient, eux, le
régime d'Assad.
Le
rapport de la Brookings
Institution souligne
que la collecte de fonds pour les rebelles syriens est devenue à
partir de 2011 enjeu de rivalités entre tribus et clans, notables
cléricaux ou politiques, poussés par les partisans du salafisme.
Des
campagnes furent menées expliquant qu'on pouvait « avec
800 $ acheter une roquette »,
ou « équiper
un soldat avec 2 500 $ »,
les noms de riches donateurs, parlementaires ou dignitaires religieux
comme Jaman Herbach, Walid al-Tabtabai, Hadjaj al-Ajmi ou Abd
al-Rahmane al-Anizi, représentent ces financements ouvertement
proclamés pour les djihadistes syriens.
Les
stratégies des donateurs koweitiens allaient du financement de la
création de brigades salafistes regroupées dans « Jahbat
al-Asala wa al-Tanmiya », du renforcement de groupes islamistes
dont « Ahrar al-Sham » (soutenu par Shafi al-Ajmi) ou
« Jabhat al-Nosra » (financé par Ghanem al-Mutairi).
Selon
la Brookings
Institution, tous
les groupes financés par les Koweïtiens collaborent avec les
mouvements d'Al Qaeda,
d'abord le Front al-Nosra, ensuite l'EIIL.
Les
Etats-unis ont d'ailleurs ciblé et gelé les avoirs il y a une
semaine de trois individus pour financement de l'EIIL – ainsi que
d'al-Nosra – qui se révèlent être Mohammed al-Ajmi,
Hadjadj al-Ajmi et Abd al-Rahmane al-Anizi,
des noms déjà mentionnés et connus des observateurs.
Le
Qatar – tout en finançant des analyses qui dédouanent l'émirat,
accusant ses voisins saoudiens et koweïtiens – dénie toute
implication dans le financement, bien que l'on sache qu'il ait été
le premier bailleur de la rébellion islamiste syrienne, avec 3
milliards de $ dépensés de 2011 à 2013.
Cette
somme aurait servi avant tout à financer les islamistes du « Front
al-Nosra », tandis que le Qatar aurait alimenté un réseau de
trafic d'armes permettant d'armer notamment les rebelles en missiles
anti-aériens.
La
Turquie, base logistique des rebelles islamistes
Et
la Turquie dans tout cela ?
Que
ce soit pour le transport d'armes, les voies d'acheminement des
rebelles, ou le transfert de fonds, tous les acteurs évoquent une
voie royale :la
frontière longue de 800 km entre la Turquie et la Syrie, qu'un
journaliste turc a qualifié « d'autoroute
à deux sens pour les djihadistes ».
Un
simple coup d’œil à une carte révèle que les « rebelles
syriens » contrôlent – en dépit de leurs revers face aux
troupes syriennes gouvernementales – toujours le nord de la Syrie,
le long de la frontière turque, ce qui laisse l'hypothèse lourde
d'une base arrière turque pour les rebelles.
Une
institution confirmée par nombre d'observateurs qui soulignent
que les
djihadistes utilisent les camps de réfugiés comme camps
d'entraînement, traversent la frontière pour se soigner,
se reposer ... ou simplement prendre un verre de thé et manger un
kebab dans le sud de la Turquie.
C'est
par exemple le témoignage d'un combattant d'ISIS interviewé par le
journal turc « Yurt », évoquant « le
soutien dont son organisation reçoit d'Ankara, sans lequel ils
n'auraient pas autant de combattants, et ne contrôleraient pas tous
ces territoires ».
Interviewé
au cœur de l'Anatolie, il ajoute que lui et ses compagnons sont
traités ici des blessures reçues en Turquie. Certains sont soignés
dans des hôpitaux publics et privés à Ankara, Istanbul et Izmir.
Selon les observateurs, 3 000 militants d'ISIS se trouveraient en
Turquie à l' heure actuelle.
Le Washington
Post insistait
récemment sur la « répression tardive des combattants
islamistes (12 août 2014), rappelant que« dans
les étales poussiéreuses du marché, parmi les boutiques de baklava
et les kebab, les habitants mentionnent des combattants islamistes
qui achetaient leurs uniformes et les derniers portables Samsung ».
« Tandis
que les djihadistes blessés de l'EIIL et d'Al-Nosra étaient soignés
dans les hôpitaux turcs (…) les riverains indiquent que Reyhanli
et les autres villes turques frontalières étaient devenues des
étapes pour les combattants et les armes destinées à alimenter les
rebelles syriens. »
Ce
secret de polichinelle ne pouvait plus être caché après que le
1er janvier 2014, un camion rempli d'armes et de munitions à
destination de la Syrie était arrêté à Adana, près de la
frontière.
Les policiers qui ont divulgué des photos de la prise, le procureur
public d'Hatay qui a tenté de mener l'enquête ont tous été démis
de leurs fonctions, l'affaire a été classée sans suite.
Ce
camion appartenait à l'IHH (la Fondation turque pour les droits de
l'Homme et l'aide humanitaire), une organisation de charité
islamique – à laquelle est liée le fils du Président Erdogan –,
paravent pour le financement de groupes djihadistes comme en Syrie,
avec des livraisons d'armes avérées au moins à partir de septembre
2012.
L'implication
des services de renseignement turcs, le MIT, est directe selon
le journaliste turc Cengiz Candar pour qui l'organisme est l'
« accoucheur » du groupe djihadiste.
Son
rôle indirect semble indiscutable tant la porosité de la frontière
turco-syrienne ne peut s'expliquer que par un laissez-faire (ou
plutôt laissez-passer) coupable.
Certains
combattants kurdes syriens dénoncent le fait que des officiers turcs
aient participé à des interrogatoires de leurs militants capturés
par ISIS.
Le
journal turc Aydinlik a
révélé, lui, que des
anciens membres des Forces spéciales avaient été envoyés en Syrie
pour épauler ISIS,
avec une base logistique pour cette opération dans la ville de
Konya, en Anatolie centrale.
Certains
officiers des renseignements occidentaux – cités dans The
Telegraph,
le 14 avril 2014 – estiment que c'est le
MIT turc qui serait à l'origine de l'attaque au gaz sarin du 21 août
dernier,
cherchant à provoquer l'entrée en guerre des Etats-unis.
Selon
les autorités turques, il y aurait plus de 1 000 combattants turcs
dans les rangs d'ISIS,
soit un dixième de leurs forces. Difficile de croire que les
services de renseignement turcs auraient manifesté une telle
incompétence face à ce flot de combattants ayant résidé sur leur
sol, traversé leurs frontières, étant de leur nationalité.
Enfin,
un dernier élément troublant, accablant, ce sont les autres sources
de revenus d'ISIS : d'abord le trafic de pétrole revendu dans
la région.
Là
encore, ce n'est guère un surprise, ce
pétrole est revendu essentiellement à la Turquie,
qui pomperait 1 500 tonnes par jour, soit 4 % de sa consommation, à
prix cassés. Selon le député turc d'opposition, Ali Ediboglu, les
rebelles d'ISIS auraient vendu pour 800 millions de $ de pétrole au
gouvernement turc.
Il
peut subsister des zones d'ombres sur qui est derrière la subite
émergence de l'EIIL. Elles ont trait au degré d'implication des
pays occidentaux – et de leurs services secrets. Mais le rôle des
plus proches alliés des Etats-unis dans cette rébellion nous en
apprend beaucoup sur son instrumentalisation au service des desseins
impérialistes dans la région.
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